Accueil Actualités Tribune | A propos de la condamnation d’un enfant accusé de complicité au terrorisme à 25 ans de prison : Les droits de l’enfant dans le système de justice pour enfants remis en cause ?

Tribune | A propos de la condamnation d’un enfant accusé de complicité au terrorisme à 25 ans de prison : Les droits de l’enfant dans le système de justice pour enfants remis en cause ?

tribune la presse

Par Hatem KOTRANE*

1. Plusieurs journaux ont rapporté que la Chambre pénale spécialisée dans les affaires terroristes au Tribunal de première instance de Tunis a condamné un mineur à 25 ans de prison, en plus de cinq autres de contrôle administratif.

Ce dernier était accusé d’avoir été indicateur pour le compte de groupes terroristes. Il donnait des informations sur les déplacements des agents de sécurité et des militaires.

Selon les détails de cette affaire, l’accusé est âgé de 16 ans. Il livrait des informations à des terroristes qui se trouvaient dans les montagnes du nord-ouest du pays, pour faciliter leurs déplacements. 

2. Cette condamnation, si elle était confirmée, mettrait à nu le système tunisien de la justice pénale pour enfants souvent présenté comme étant largement conforme aux dispositions de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant et aux autres normes de l’Organisation des Nations unies dans ce domaine, et ce, en conférant un véritable statut protecteur à travers la mise en place par le Code de protection de l’enfant d’une série de garanties relatives aux différentes phases du procès, ainsi que par les dispositions du Code pénal portant allégement généralisé des peines encourues et autres mesures applicables à l’enfant :

– Interdiction de la condamnation des jeunes délinquants à la peine capitale et de l’emprisonnement à vie et son remplacement par un emprisonnement de dix ans,

– Réduction de moitié des autres peines d’emprisonnement encourues, sans que la peine prononcée ne dépasse cinq ans ; et

– Inapplication aux enfants des peines complémentaires et des règles de récidive (Article 43 du Code pénal, tel que modifié par la loi n°89-23 du 27 février 1989 et la loi n°95-93 du 9 novembre 1995).

3. La condamnation d’un enfant à 25 ans de prison pour les faits de complicité à des crimes terroristes viole-t-elle alors ouvertement l’article 43 du Code pénal, précité, et vient-elle rappeler surtout que le système tunisien de la justice pénale pour enfants reste marqué par une logique donnant largement prédominance à l’approche punitive par la soumission des enfants à la loi antiterroriste (I). C’est la conclusion dominant l’ensemble des observations faites par les observateurs et les instances internationales de contrôle des droits de l’enfant et qui appelle à une nécessaire révision de la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre les infractions terroristes et la répression du blanchiment d’argent (II). 

Prédominance de l’approche punitive par la soumission des enfants à la loi antiterroriste

4. Ces dernières années, la question des droits de l’enfant dans la lutte contre le terrorisme a retenu beaucoup l’attention. Certains États parties ont adopté une approche punitive qui ne respecte pas ou peu les droits de l’enfant, ce qui a des conséquences durables sur le développement de l’enfant, nuit aux possibilités de réinsertion sociale et a de graves conséquences pour la société à plus grande échelle.

5. Dans ce contexte particulier, le Comité des droits de l’enfant, dans ses observations finales adoptées le 4 juin 2021 après examen du rapport de la Tunisie valant quatrième à sixième rapports périodiques, rappelant ses précédentes observations, recommande à nouveau «…d) De veiller à ce que les personnes de moins de 18 ans ne soient pas détenues ou poursuivies au titre des lois antiterroristes, notamment la loi organique n° 26 de 2015 ».

6. D’aucuns seraient tentés de penser que le législateur a tenu compte des droits de l’enfant en adoptant la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre les infractions terroristes et la répression du blanchiment d’argent, telle que révisée et complétée par la loi organique n° 2019-09 du 23 janvier 2019, et qui dispose dans son article 4 que: «…Les enfants sont soumis au Code de la protection de l’enfant».

7. Toutefois, le Code de protection de l’enfant ne réglant pas tout, sur toutes les autres questions, là où des règles plus avantageuses n’y ont pas été aménagées, l’enfant se trouvera nécessairement soumis à cette nouvelle loi sur la lutte contre le terrorisme et aux autres dispositions en vigueur, telles que définies notamment dans le Code pénal et le Code de procédure pénale, ainsi qu’aux procédures y afférentes.

Ainsi, en est-il tout particulièrement :

– du déroulement de l’enquête préliminaire et de l’instruction, y compris notamment le recours à la garde à vue et à la détention préventive, qui ne sont guère aménagées spécialement dans le Code de la protection de l’enfant, de sorte que l’enfant arrêté ou suspecté de violation de la loi pénale se trouve soumis à une procédure où les garanties essentielles proclamées par les normes internationales de protection font, pour l’essentiel, cruellement défaut ;

– de la compétence de l’entité judiciaire appelée à connaître de l’affaire terroriste à tous les stades de l’enquête et du jugement, l’enfant pouvant être traduit devant le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme. Certes, l’article 40 de la loi organique n° 2015-26 relative à la lutte contre les infractions terroristes, telle que révisée et complétée par la loi organique n° 2019-09 du 23 janvier 2019, a-t-il introduit une amélioration dans la composition dudit pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme dans les affaires où des crimes terroristes sont imputés à des enfants, en prévoyant alors qu’il comprend également «…des représentants du ministère public, des juges d’instruction, des juges des chambres d’accusation, un juge pour enfants et des juges du tribunal des enfants de première instance et d’appel spécialisés dans les affaires des enfants ». Mais cette garantie ainsi introduite n’empêche pas que ledit pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme demeure, en substance, une juridiction d’exception où les garanties d’un procès juste font généralement défaut en comparaison avec les juridictions de droit commun, et qu’il contredit, en tout cas, les  principes majeurs gouvernant la justice pour enfants, y compris notamment le droit à comparaître devant des juridictions spécialisées pour enfants.

8. De même, l’enfant pourra-t-il se voir appliquer toutes les nouvelles dispositions de la nouvelle loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre les infractions terroristes et la répression du blanchiment d’argent, y compris les nouvelles infractions y définies, comme par exemple l’incitation à la commission d’infractions terroristes, lorsque cet acte provoque, par sa nature ou son contexte, un danger pouvant éventuellement découler de sa commission ou encore le fait pour quiconque de s’être résolu à commettre de telles infractions, si cette résolution est accompagnée d’un quelconque acte préparatoire en vue de son exécution (Article 5 nouveau) de la loi. L’enfant auteur de l’une quelconque des infractions terroristes prévues par la nouvelle loi pourra également se voir appliquer le régime du placement sous surveillance administrative «…pour une période minimum de trois ans, sans, toutefois, excéder une durée de dix ans, à moins que le tribunal ne décide de dégrader cette peine au-dessous du minimum légal, et ce, sans préjudice de l’application d’une ou de toutes les autres peines complémentaires prévues par la loi» (Article 6 de la loi).

9. Ainsi donc, toutes les infractions prévues par la nouvelle loi et les peines y définies pourront être appliquées à l’enfant, qui pourra toutefois continuer à bénéficier de l’allégement généralisé des peines encourues :

– Interdiction de la condamnation des enfants à la peine capitale et de l’emprisonnement à vie et son remplacement par un emprisonnement de dix ans,

– Réduction de moitié des autres peines d’emprisonnement encourues, sans que la peine prononcée ne dépasse cinq ans.

10. En condamnant un enfant à 25 ans de prison, en plus de cinq autres de contrôle administratif, la Chambre pénale spécialisée dans les affaires terroristes près le Tribunal de première instance de Tunis  viole-t-elle alors ouvertement l’article 43 du Code pénal ? Tout se passe en fait comme si le fait d’être l’auteur d’une infraction, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une infraction terroriste, dépouille l’enfant de son statut social d’enfant pour le faire entrer de plein fouet dans le monde des adultes.

11. Dans un système donnant encore souvent prédominance à l’action pénale et coercitive au détriment de l’action pédagogique et sociale, la priorité donnée à la lutte contre le terrorisme ne fera qu’accentuer cette réalité.

Recommandations

12.Une révision de la loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, relative à la lutte contre les infractions terroristes et la répression du blanchiment d’argent, est rendue nécessaire en vue de garantir que les enfants ne soient pas tenus pour responsables, détenus ou poursuivis en vertu des dispositions de ladite loi, et ce, dès lors qu’ils sont essentiellement victimes, entraînés par les adultes pour la commission de tels crimes.

Convient-il de rappeler, à cet égard, que l’article 10 (nouveau) de la même loi organique n° 2015-26 du 7 août 2015, telle que modifiée par la loi organique n° 2019-9 du 23 janvier 2019, dispose que la peine maximale encourue pour une infraction terroriste doit être prononcée si, entre autres, elle a été commise par l’utilisation d’un enfant. De même, l’article 19 du Code de protection de l’enfant dispose : «Il est interdit d’exploiter l’enfant dans les différentes formes de criminalité organisée, y compris le fait de lui inculquer le fanatisme et la haine et le l’inciter à commettre des actes de violence et de terreur».

13. Dans son Observation générale no 24 (2109) sur les droits de l’enfant dans le système de justice pour enfants, le Comité des droits de l’enfant a souligné, pour sa part, que les États parties devaient veiller à ce que tous les enfants accusés de crimes, quels que soient leur gravité ou leur contexte, soient traités conformément aux dispositions des articles 37 et 40 de la Convention.

14. De même, les recommandations contenues dans le Mémorandum de Neuchâtel sur les bonnes pratiques de justice pour mineurs dans le contexte de la lutte contre le terrorisme pourraient-elles guider les mesures, politiques et actions à mettre en place en la matière. Lancée par la Suisse dans le but d’examiner l’impact des mesures de lutte contre le terrorisme sur les enfants, cette initiative a rassemblé des praticiens et des décideurs de divers pays et de diverses disciplines pour partager les enseignements tirés, explorer les bonnes pratiques et identifier les défis afin d’adapter les réponses aux menaces posées par le terrorisme, de protéger les droits des enfants et de soutenir leur développement futur.

Parmi les bonnes pratiques, il y a lieu de mentionner

ce qui suit :

Prévention

Bonne pratique 1 : traiter les enfants soupçonnés d’être impliqués dans des activités liées au terrorisme en conformité avec le droit international et en ligne avec les standards internationaux de justice pour mineurs.

Bonne pratique 2 : évaluer et traiter la situation des enfants dans un contexte lié au terrorisme sur la base d’une perspective de développement des enfants et de protection de leurs droits.

Bonne pratique 3 : répondre à la vulnérabilité des enfants face au recrutement et/ou à la radicalisation menant à la violence par le biais de mesures préventives.

Bonne pratique 4 : développer des stratégies de prévention ciblées qui reposent sur la création de réseaux d’aide pour les enfants à risque.

La justice pour mineurs

Bonne pratique 5 : appliquer le système de justice pour mineurs dans les cas d’enfants poursuivis pour des activités liées au terrorisme, et ce, en garantissant l’application de procédures appropriées et spécifiques aux enfants.

Bonne pratique 6 : adapter les stratégies d’enquête à l’enfant poursuivi pour infraction terroriste.

Bonne pratique 7 : appliquer les principes d’individualisation et de proportionnalité dans la condamnation.

Bonne pratique 8 : détenir des enfants privés de liberté dans des structures appropriées ; soutenir, protéger et préparer les enfants détenus à leur réinsertion. 

III. Réhabilitation et réinsertion

Bonne Pratique 9 : développer des programmes de réhabilitation et de réinsertion pour les enfants impliqués dans des activités liées au terrorisme afin de garantir leur réinsertion réussie dans la société.

Bonne pratique 10 : concevoir et appliquer des programmes spécialisés pour tous les professionnels impliqués dans le système de justice pour mineurs afin de renforcer leurs capacités à traiter les affaires de terrorisme.

H.K.

* Professeur émérite à la faculté des Sciences juridiques, politiques et Sociales de Tunis- Université de Carthage et ancien membre et vice-président du Comité des Nations unies des droits de l’enfant

CRC/C/TUN/CO/3, 25 mai – 11 juin 2010, paras. 65-66.

CRC/C/TUN/CO/4-6, 2 septembre 2021, para. 46.

Article 40 (nouveau) : «Est créé au sein de la Cour d’appel de Tunis un pôle judiciaire antiterroriste, qui est chargé des crimes terroristes prévus dans cette loi et les crimes qui y sont associés.

Le pôle judiciaire de lutte contre le terrorisme se compose de représentants du ministère public, des juges d’instruction, des juges des chambres d’accusation et des juges des chambres criminelles et correctionnelles de première instance et d’appel. Il comprend également des représentants du ministère public, des juges d’instruction, des juges des chambres d’accusation, un juge pour enfants et des juges du tribunal des enfants de première instance et d’appel spécialisés dans les affaires des enfants.

Ils sont sélectionnés en fonction de leur formation et de leurs expériences dans les affaires relatives aux infractions terroristes».

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